L’histoire de Darryl

Darryl – Produit par Santé Canada

Darryl :

La vraie question, c’est comment un médecin, quelqu’un de très instruit, peut-il devenir accro au fentanyl? Voici comment ça se passe. 

Je suis déjà accro au Percocet, je suis en phase de sevrage et je veux simplement me sentir mieux. 

Narrateur : 

Bien en vue est une série audio produite par Santé Canada, qui explore les histoires personnelles de personnes touchées par la crise des opioïdes. 

Chaque jour, environ 11 personnes meurent d’une surdose d’opioïdes au Canada. 

On le voit au bulletin de nouvelles. On est conscient que ça arrive. On sait que c’est vrai. Mais on se dit que ça ne pourrait pas arriver à quelqu’un qu’on connaît, à un collègue, aux gens qu’on aime, et qu’on est nous-mêmes à l’abri. 

En réalité, la crise des opioïdes bat son plein bien en vues et peut toucher n’importe qui. Des milliers d’histoires en témoignent. 

C’est ici que l’histoire de Darryl commence… 

Darryl : 

Je m’appelle Darryl Gebien, je suis né et j’ai grandi à Toronto. Après 17 années de scolarité, j’ai trouvé un travail dans ma province natale, l’Ontario, dans une salle d’urgence. Tout allait bien pour moi. Je débutais ma nouvelle carrière. Mon stage de résident était exigeant, mais je recevais une excellente formation.

Mais un jour je me suis réveilléJ’avais toujours eu des maux de dos, mais ça allait de moins en moins bien. C’était comme ça depuis que j’avais 18 ans, de façon intermittenteJ’ai toujours su qu’il y avait un problème avec mon dos, mais à ce point- c’était tout le temps. Et un jour quelque chose a changé. 

Ma mère s’est rendu compte que j’avais ces douleurs, et elle m’a donné un de ses comprimés de Dilaudid. Elle avait des maux de dos. C’est certainement un facteur héréditaireÇa a été mon premier contact avec un opioïde et j’ai tout de suite aimé. La douleur était apaisée et en plus, ça m’a mis de bonne humeur. Je me sentais bien. J’ai donc tout de suite aimé parce que ce qu’une seule pilule a enlevé ma douleur, et je me sentais bien au niveau psychologique. Ma mère a rapidement compris ce qui se passait, car lorsque je lui ai demandé un autre comprimé à peine deux heures plus tard, elle a eu un petit rire nerveux et m’a dit : « Je vois bien qui se passe. Non, non, non. Tu n’en auras pas d’autres. » 

Ce n’était que le début pour moi. Si Advil ne suffisait pas, alors un opioïde ferait le travail. La douleur diminuait un peu. Elle allait et venait. Je pouvais être des mois sans avoir mal. Mais peu à peu la situation a empiréJ’ai commencé à prendre de plus en plus de Percocet. 

J’avais une ordonnance de mon médecin de famille à ce moment-. Je prenais du Percocet de façon intermittente. Ma première ordonnance a duré longtemps. Je me souviens que la bouteille de comprimés est restée dans ma pharmacie près d’un an. Mais le véritable problèmec’était qu’il ne se passait rien de sérieux dans ma vie. Ma vie allait bien. 

Mais cette partie de moi qui aime le risque et me fait essayer de nouvelles choses a pris le dessus et j’ai commencé à prendre un comprimé en regardant mes copains jouer au golf sur la PlayStation avec quelques bières. Et puis un jour, je me suis demandé comment je me sentirais si je prenais un comprimé de Percocet avec quelques bières. 

Ça a été une très mauvaise décision, car je venais d’ouvrir une boîte de Pandore. Mais c’est un peu dans ma nature. Pourquoi j’ai fait ça? Je n’étais pas conscient que je venais de m’engager dans une spirale horrible qui a presque entraîné ma mort d’une dépendance de fentanyl, plusieurs années plus tard. 

C’était le début de ma déchéance. Je n’en prenais pas toutes les fins de semaine, juste une fois de temps en temps lorsque je sortais avec des amis. Je n’en prenais donc plus uniquement pour mes maux de dos. Il m’arrivait d’en prendre socialement. 

Est-ce que cela faisait de moi une mauvaise personne ? Que j’avais une morale douteuse ? C’est comme ça que ça commence pour beaucoup de personnes. Je ne suis pas seul. Et je ressens beaucoup de honte et de malaise face à cette situation. 

 Aujourd’huij’ai appris à le reconnaître et j’ai repris le contrôleJ’ai appris à la dure qu’il me fallait être prudent dans mes décisions. Mais en repensant à ce temps-, je constate que j’ai été entraîné dans une lente et progressive descente aux enfers. De jour en jour, ça devenait plus fréquent, je prenais plus qu’un comprimé, et c’était plus souvent que quand je buvais. 

Et pour jeter de l’huile sur le feu, certains changements survenaient aussi dans ma vie. J’ai rencontré une femme. Elle est venue du Nouveau-Brunswick pour me rejoindre à Toronto et tout s’est fait très rapidement. Elle avait une fille. Ma vie a changé très vite. Je n’allais pas bien. Nous avons eu un autre enfant, mon premier, son deuxième. Alors nous avons acheté une maison. Je passais rapidement de la vie de célibataire en condo à la vie de famille, je travaillais tard le soir à la salle d’urgence, le mariage avait été précipité, la grossesse avait été précipitée. En raison de cette précipitation, ma relation avec elle commençait à battre de l’aile, nous n’arrivions plus à communiquer. Nous étions tous les deux à blâmer. 

Pour empirer les choses, la relation entre ma mère et mon épouse était conflictuelle. Et c’était une situation extrêmement difficile. J’ai cessé de voir mes parents. Ma femme et ma mère ont eu des échanges par courriel très agressifs et j’ai dû prendre une décision sur la marche à suivre. J’ai choisi mon épouse. Cela a empiré la situation, puisque j’étais maintenant privé de mon réseau de soutien. 

Nous sommes une famille très unie. La relation avec ma famille se détérioraitmes maux de dos empiraient et je m’isolais de plus en plus de mes amis et de ma famille. Je gardais mes émotions pour moi. Je ne me confiais plus à mon épouse ni à personne d’autre. Et aussi dans ma profession, traditionnellement, nous ne partageons pas nos sentiments, nous restons professionnels. Je réussissais à tenir le coup avec les drogues. Elles m’aidaient à contrôler mon anxiété. Et mes maux de dos. 

Et mes maux de dos empiraientIls m’affectaient de plus en plus et ma jambe était aussi affectée sur le plan neurologiquej’avais des faiblesses à la jambe. Ma vessie aussi était affectéeJ’avais des problèmes urinaires. Et ensuite, ma femme et moi avions décidé de quitter Toronto parce qu’elle était malheureuse dans cette ville. Mon travail me le permettaitmais aussihonnêtement, je voulais mettre une distance entre moi et ma famille. Une autre mauvaise décision. Nous avons déménagé à Barrie. Ce fut le coup de grâce, car en à peine deux ans, ma dépendance était devenue hors de contrôle. 

Narrateur : 

Coupé de sa famille et loin de ses amis, Darryl s’est retrouvé isolé physiquement et émotionnellement de son réseau de soutien qui l’avait jusqu’alors aidé à rester à la surface. 

De plus en plus, il ne ressentait plus aucun plaisir à faire des activités qu’il aimaitsauf une qui remplissait le vide qu’il ressentait en luice qui était exacerbé par ce qu’il voyait comme un environnement de travail toxique. 

Darryl: 

Ça m’a anéanti. Tout ce qui allait mal dans ma vie. 

Je faisais un travail stressant. En rentrant le soirj’étais déjà stressé et j’avais ces disputes incessantes avec mon épouseLorsque j’y repense aujourd’hui, il est évident que j’avais de sérieux problèmesJ’avais oublié à quel point la situation était désastreuse. Je me souviens que je rentrais du boulot et que je dormais dans mon auto stationnée dans l’entrée. Voilà bien la preuve que la situation est sérieuse. Je ne voulais pas rentrer à la maison et subir une dispute ou le stress de ma relation avec ma femme. 

Il faut faire un retour en arrière et dire que ma dépendance au Percocet était de plus en plus grande. Et je dois vous dire à quel point la dépendance est insidieuseToute personne qui se voit prescrire du Percocet le sait bien, si l’on prend régulièrement ce médicament pendant plus d’une semaine et que l’on arrête subitement, on ressentira les effets du sevrageC’est un médicament très puissant et auquel on devient accro de façon très insidieuse. 

Alors on cesse de le prendre. Le jour suivant, les effets du sevrage se manifestent, sans que l’on s’en rende compte. On se sent irritable, de mauvaise humeur, anxieux, nerveux, on transpire, on grelotte, on a mal. Mais on ne sait pas trop pourquoi. Je ressentais tout ça, mais je n’avais aucune idée de ce qui se passait. 

Cela a pris plus d’une semaine dans mon cas, c’était plutôt plusieurs mois. Cela fait quelques années maintenant. Un jour, je voulais arrêter et 24 heures plus tard, j’étais dans un état terrible en raison du sevrage. Mais j’en ignorais la cause au début. Certains comparent les symptômes à ceux d’une grippe, mais c’est bien pire. Parce que la grippe ne vous affecte pas sur le plan psychologique. On se sent peut-être un peu déprimé, c’est tout. Avec le sevrage ce sont les effets psychologiques qui sont les pires. Qu’est-ce qui se passe dans votre tête ? Vous avez l’impression que vous allez mourir, que le monde autour de vous va s’effondrer. Et ça, c’est très puissant. Personne ne veut se sentir malade. Mais comment éviter de se sentir malade ? En en prenant plus. Alors je prenais un autre Percocet, et tada! je me sentais bien de nouveau. 

Ce fut déterminant, car à ce moment-là, j’étais totalement accro. Dépendant. Je me sentais malade et très mal en point sur le plan psychologique si je ne prenais pas de comprimé. J’étais esclave de la drogue. Alors comprendre les effets du sevrage a été une étape importante. 

En six mois, ma consommation de Percocet avait beaucoup augmenté, je vous l’ai déjà expliqué. Un jour, j’ai manqué de Percocet, mais j’avais un timbre transdermique de fentanyl à la maison. Il était  depuis un an. Je les utilisais à l’occasion pour mes maux de dos. Mais cette fois-làc’était différent. Quand j’étais en phase de sevragej’étais désespéré, et je voulais simplement me sentir mieuxC’est un comportement classique chez ceux qui ont une dépendance. Certains sont prêts à tout pour se sentir mieux : voler à l’étalagevoler leurs prochesbrûler des pontsvoler des banques ou des pharmacies, vendre leur corps. Et les médecins font des ordonnances d’opioïdes de façon excessive. J’ai absolument tiré avantage du fait que je pouvais moi-même rédiger des ordonnances. 

J’étais en manque de Percocet… et j’avais ce timbre de fentanyl alors mon insouciance a fait le reste, et j’ai fait une recherche sur Google pour savoir comment le fumer. J’avais entendu dire qu’on pouvait fumer un timbre de fentanyl. Je ne voulais pas simplement l’appliquer sur ma peau parce que l’effet n’était pas assez fort. C’est dire à quel point ma dépendance était grande. Ma tolérance aux opioïdes était rendue à ce point. Appliquer le timbre n’apaisait pas ma souffrance. Alors j’ai fait une recherche sur Google pour savoir comment le fumer, et j’étais seul à la maison. J’ai découpé le timbre en petits carreaux et je l’ai fumé. C’était extrêmement puissant. J’aurais pu mourir là d’une surdose si je n’avais pas déjà développé une résistance au Percocet. 

L’effet était très puissant et j’ai aimé cela tout de suite. Je me suis senti exactement comme la première fois que j’ai pris du Percocet, ou plutôt du Dilaudid, des années plus tôt. Le sentiment était semblable. Je découvrais quelque chose de nouveau, et mon cerveau s’est recâbléJ’aimais ça, et j’en voulais plus. 

Le problème, c’est que le fentanyl est extrêmement puissant. Cette drogue est cent fois plus puissante que le Percocet, sinon plus. Et non seulement c’est puissant, mais l’effet de sevrage est encore plus rapide, car le fentanyl est une drogue qui prend effet très vite. Alors vous vous sentez tellement bien, mais vous retombez aussi plus rapidement. En une quinzaine de minutes, j’en voulais plus et j’en reprenais. C’est aussi rapide que cela. Ma dépendance était hors de contrôle, accélérée. C’est comme une spirale qui s’emballe. Et le lendemain, je ne pouvais plus arrêter. Ce fut six mois d’enfer. En six mois seulement je me suis retrouvé aux portes de la mort. 

Il fallait faire quelque chose. J’allais mourir non pas d’une surdose, mais simplement d’une utilisation excessive. J’avais perdu énormément de poids. J’essayais de le cacher et de faire comme si tout allait bien. J’étais encore capable de travailler et je ne consommais pas durant mon travail. Je m’en sortais, j’évitais le sevrage en portant un timbre de fentanyl. Et je mourais à petit feu. Ma mère en était consciente. Mes amis en étaient conscients. Mais je ne recherchais pas d’aide. 

Puis, à quelques reprises, j’ai essayé d’arrêter de consommer. Je me rendais chez mes parents. Je restais couché sur le sofa pendant cinq jours et j’étais dans un état lamentable. J’essayais de me sevrer. Je pensais qu’une semaine serait suffisante. Je m’absentais du travail et j’essayais de me sevrer en une semaine. Mais c’était loin d’être suffisant. Finalement, il m’a fallu six mois pour m’en sortir. Six mois, pas une semaine. 

J’ai fini par me rendre. La pharmacie avait compris ce qu’il se passait. La police s’est impliquée et j’ai été arrêté. Mon employeur a été contactéj’ai été mis en arrêt de travail. Je suis allé en cure de désintoxication pendant cinq ou six semainesJ’y ai vécu un véritable enferJ’ai été tellement malade. 

On ne l’utilise plus aujourd’huimais on m’avait prescrit du Suboxone pour accélérer le sevrage. La plupart des gens le tolèrent difficilementIls recommencent à consommer. Mais j’imagine que pour un docteur comme moiplutôt têtu, il faut apprendre à la dure. Et je suis heureux qu’ils l’aient faitmais pendant ma cure j’ai connu non pas un épisode de sevragemais trois. Le pire cauchemar de ma vie, et de loin. 

Je me sentais tellement faible à ce moment-mais au bout des 36 premières heures, les pires symptômes s’étaient dissipés, et il a fallu six autres mois pour venir à bout des symptômes physiques. Et ça a pris deux ans de plus pour que les effets psychologiques disparaissent. Je n’arrivais pas à prendre de décisionsJ’avais d’énormes problèmes de concentration. Évidemment je ne travaillais pas, mais il m’a fallu beaucoup, beaucoup de temps pour passer au travers. 

J’ai eu quelques rechutes. La police enquêtait sur moi. La dernière rechute a eu lieu peu après la fin de ma cure. On aurait dû me garder. Pour être honnête, je n’étais pas prêt, j’étais encore très malade. Mais je devais passer au tribunal et on m’a relâché et je voulais quitter le centre de cure. Donc j’ai fait une rechute.

Alors j’ai eu ce qu’on appellerait un incident de douche sèche. J’ai eu une rechute en consommant du fentanyl. Je l’ai fumé dans la douche au sous-sol. J’ai fumé en bas afin que l’odeur ne se répande pas dans la maison. Je n’ai pas réalisé sur le coup que la dose était excessive et ma femme m’a sauvé la vie. Elle ne me voyait plus dans la maison alors elle est descendue au sous-sol. À ce jour, je pense encore que c’était le soir, mais elle me dit que nous étions le matin. Lorsqu’elle m’a trouvé, j’avais le visage tout vert, presque bleu, et je respirais à peine. J’avais des symptômes de cyanose, ce qui veut dire «sayonara». Lorsqu’elle m’a trouvé, j’étais à l’article de la mort. Et je me souviens de son regard lorsqu’elle a crié mon nom. J’ai ouvert les yeux et vu la peur sur son visage. Jamais je n’oublierai cette image. 

Je lui ai fait vivre l’enfer. 

Narrateur : 

La vie de Darryl a été sauvée ce jour-. Et ensuite ? Est-ce que ce moment l’engagerait sur la voie de la guérison? 

Darryl : 

Je n’oublierai jamais son regard, mais je voyais bien le mal que je lui avais faitainsi qu’à moi-même. On pourrait penser qu’après çaça serait fini. Mais non. J’ai continuéContinué à consommer. 

Elle m’a enlevé tous les accessoires de drogue qui se trouvaient autour de moi et dans la douche. Pourtantj’ai recommencé à consommer. Et je m’en foutais. À ce point-, je me foutais de tout. 

Ce qui a finalement mis fin à tout ça, c’est le fait d’être arrêté. Deux semaines plus tard, les policiers enquêtaient sur moi et avec cette dernière ordonnance de fentanyl ils se sont rendu compte que je représentais un danger pour moi-même et pour les autres. Donc ils m’ont arrêté. 

Ils sont arrivés à 7 heures le matin, ont envahi ma maisonm’ont mis les menottes et m’on amené. Ce jour-j’ai été arrêtéJ’ai été incarcéré à la prison de Penetanguishene  je suis resté 18 joursJ’avais cet habit orange de prisonnier alors que trois mois auparavantj’étais un médecin respecté travaillant à l’urgence d’un hôpital. Le réveil a été brutal. Croyez-le ou non, ce fut le début de ma guérisonAvoir été arrêté et emmenéêtre privé de la présence de ma femme et de mes enfants, je ne pouvais pas descendre plus bas. J’avais atteint le fond. 

J’ai alors commencé à remonter la pente. J’ai commencé à guérir pendant ces 18 jours de prison. Ce fut une expérience effrayante, mais je m’en suis sorti. Mes parents sont venus régulièrement me visiter. Lorsque j’ai été libéré sous caution, je n’avais pas le droit de vivre avec mon épouse, alors, elle habitait notre maison avec les enfants et moi, je me suis installé chez mes parents à Toronto. J’ai alors suivi d’autres cures et je m’en suis finalement sorti. 

J’ai fait six mois de cure, je me sentais enfin mieuxJ’étais bien dans ma tête. J’étais guéri. 

Il y a une séquence d’événements qui mène à la décision de céder et de faire une rechute. J’ai compris que si je prenais les bonnes décisions, je me sentirais en paix avec moi-même et tout irait bien dans ma vie. Si je prends les mauvaises décisions, si je rechute, il n’y aura que du négatif dans ma vie. Et il faut un certain nombre de rechutes avant de comprendre cela. 

Si je pense à mes décisions passées, je deviens impulsifC’est un autre trait de ma personnalitél’impulsivité. Il faut la reconnaître et la contrôler. Je porte cela en moi maintenantJ’ai pris de bonnes décisions dernièrement, et j’ai beaucoup avancé ma guérisonune bonne guérison, car je prends mieux soin de moi. 

J’ai appris à exprimer mes émotions, à ne pas tout garder en dedans et à parler de mes problèmes aux gens. J’ai assisté à des centaines de réunions du programme à 12 étapes, j’ai participé à des groupes de suiviJ’ai rencontré un spécialiste en dépendancej’ai participé à un groupe de Caducée, qui regroupe des professionnels de la santé aux prises avec les mêmes problèmes. On appelle ça «Caducée«. Je me suis bâti un fort réseau de soutien. 

Et pendant deux ansj’avais beaucoup d’incertitude sur mon futur. En effet, le procureur de la couronne demandait une peine de 12 ans de prison. Douze ans. J’ai vécu ainsi, à ne pas savoir ce qui allait m’arriver. Et puis bien sûr, les maux de dos, qui étaient toujours Ça continue. C’est beaucoup de stress. Mais j’ai appris à en parlerJ’ai appris beaucoup, je suis devenu un expert dans la gestion du stress sans médicamentC’est toute la différence entre le nouveau Darryl et l’ancien Darryl. 

Cela m’a aidé de nombreuses façonsJ’ai compris que les mêmes choses qui m’avaient aidé à guérir m’aident aussi à trouver le bonheur. C’est énormeça. Des choses comme apprendre à être en contact avec les autresC’est extrêmement important. Ne pas tout garder en dedans. Être honnête. Ne pas tout intérioriserJ’utilise toujours ce mot pour dire l’importance d’exprimer ce que l’on vit. Alors, quelque chose a recommencé à vivre en moi. Ma mère attendait ce moment avec impatience, elle se demandait quand cela allait arriver. Ce sentiment de renaître s’est développé et je me souviens avoir dit un jour à un gars qui était en cure avec moi : « Je me sens enfin comme celui que j’étais il y a cinq ans. » Il m’a répondu : « Non, non Darryl… tu te sens mieux que celui que tu étais il y a cinq ans. » Il avait raison. Et je me sens de plus en plus fort chaque jour. Mais j’en ai bavé pour me rendre . 

Alors j’ai vécu dans l’incertitude pendant deux ans, à ne pas savoir ce que me réservait l’avenirJ’ai plaidé coupable. En fait, je faisais du trafic de fentanyl. Mais pas du trafic pour faire de l’argent. Je n’étais pas un dealer. Beaucoup de gens, comme moi aussipensent que faire du trafic veut dire vendre. Mais non. Le simple mouvement des drogues, donner de la drogue, partager un joint dans une fête, c’est du trafic. Si je rédigeais une ordonnance de fentanyl pour quelqu’un qui me le redonnait, forcer le pharmacien à me donner une drogue avec une ordonnance fictive, c’est considéré du trafic. 

J’ai donc plaidé coupable et j’ai été condamné à deux ans plus un jour de prison, ce qui faisait en sorte que j’étais sous responsabilité fédéraleJ’étais terrorisé, bien sûr, de voir mon avenir entre les mains du jugeFinalement, la sentence était plutôt clémente et j’en ai été soulagé. Au moins, je savais maintenant ce qui allait m’arriver. Vivre pendant deux ans dans une telle incertitude, c’était horrible. 

On m’a menotté et conduit en prison. Ce n’est pas très agréable. Être là, au tribunal, voir tout le mal que j’avais fait à ma famille et à mes amis. Et les voir pleurer. Mais je l’acceptais. J’ai donc été dans le système fédéral et emprisonné pendant huit mois. J’ai eu un comportement exemplaire. J’ai d’abord été incarcéré à l’unité à sécurité moyenne à Joyceville. C’est une unité d’évaluation. J’y suis resté deux mois en évaluation, puis j’ai fait six mois à l’unité à sécurité minimum aussi à Joyceville. Ça s’est bien passé. 

À ma sortie de prison, en décembre 2017, j’ai eu un peu de difficulté à reprendre une vie normale. Encore aujourd’hui, les bruits forts et toutes formes de violence me dérangentJ’imagine que ce sont-là quelques séquellesC’est bizarre, car je n’ai pourtant pas été témoin de beaucoup de violence en prison, mais je ne peux tout simplement pas supporter quelque forme de violence que ce soit à la télévision. 

Mais en fin de compte, mon séjour en prison s’est bien déroulé. J’ai écrit beaucoup. J’ai été tuteur de maths. J’ai travaillé comme aide-bibliothécaire et j’ai été actif physiquement. Alors ma santé s’est améliorée. Me voici donc, six mois plus tard et je ne me suis jamais senti aussi en forme de ma vie. 

Aujourd’hui, je parle publiquement de la crise des opioïdes. Je parle de la dépendance aux opioïdes et, de façon plus générale, de l’abus des substances. Je parle volontiers de mon expérience sur les forums publics, dans des séminaires, devant des étudiants, des groupes de policiers. 

Il est important pour moi d’expliquer, de parler publiquement de ce problème, quelle que soit l’occasionPourquoi des gens volent les pharmacies ou se prostituent. Je veux apporter des réponses et donner un visage humain à ces problèmesexpliquer pourquoi des personnes se rendent jusque-là. Je vois les mécanismes en jeu, ce que je ne voyais pas lorsque j’étais un médecin qui ne se gênait pas pour juger les toxicomanesPartout, dans toutes les salles d’urgence d’Amérique du Nord, on ne traite pas ces gens convenablement. 

Il faut aussi changer cela. Il ne faut pas juger les gens, surtout lorsqu’on travaille dans les services de santé. Pas de jugement. Nous devons voir les personnes derrière ces gens qui abusent de diverses substances, qu’ils consomment trop d’opioïdes ou qu’ils soient carrément accros aux drogues. Nous devons regarder plus loin que leurs tentatives de manipulation et tenter de comprendre qu’ils agissent ainsi parce qu’ils sont malades. Et je veux que les médecins et les infirmières comprennent et traitent ces gens avec compassion et humanité plutôt que de les juger. 

Narrateur : 

La vie de plusieurs Canadiens est dévastée par la consommation problématique d’opioïdes. Les statistiques sont tragiques et sidérantes. Derrière ces statistiques, il y a des gens. Cette crise a un visage. C’est celui d’une amie, d’un collègue, d’un proche. Quand on regarde dans les yeux d’une personne touchée et qu’on voit son propre reflet, c’est par là que commence l’élimination de la stigmatisation qui empêche souvent les gens qui consomment de la drogue d’obtenir de l’aide. Pour en savoir plus sur la crise des opioïdes, rendez-vous au Canada.ca/Opioides. 

Cette série audio est produite par Santé Canada. Les opinions exprimées par les personnes qui témoignent pendant cette émission sont celles de ces personnes et non celles de Santé Canada. Santé Canada n’a aucunement validé l’exactitude des propos entendus pendant l’émission. Reproduction de ce contenu, en tout ou en partie, à des fins non commerciales est permise.