L’histoire de Charlotte

Charlotte – Produit par Santé Canada

Narrateur : 

Bien en vue est une série audio produite par Santé Canada, qui explore les histoires personnelles de personnes touchées par la crise des opioïdes. 

Chaque jour, environ 11 personnes meurent d’une surdose d’opioïdes au Canada. 

On le voit au bulletin de nouvelles. On est conscient que ça arrive. On sait que c’est vrai. Mais on se dit que ça ne pourrait pas arriver à quelqu’un qu’on connaît, à un collègue, aux gens qu’on aime, et qu’on est nous-même à l’abri. 

En réalité, la crise des opioïdes bat son plein bien en vue et peut toucher n’importe qui. Des milliers d’histoires en témoignent. 

C’est ici que l’histoire de Charlotte commence…  

Charlotte : 

Bonjour, je m’appelle Charlotte Smith. Je dirais que mes problèmes ont commencé lorsque j’avais presque 13 ans et ma mère biologique est venue en Angleterre, car elle est britannique, mais elle avait déménagé au Canada et s’y était mariée, mais elle n’avait jamais été présente dans ma vie. J’ai été adoptée à l’âge de six mois. 

Lorsque j’avais environ 13 ans, ma mère s’est mise à ma recherche pour m’adopter et me reprendre avec elle donc elle l’a fait. Et elle a payé pour mon immigration au Canada. Elle m’a parrainé. Ça a été une transition dévastatrice pour moi. J’avais le mal du pays. La première année s’est bien passée, nous vivions en quelque sorte une lune de miel, mais après ça, tout s’est mis à dérailler. 

J’ai commencé à m’automutiler au bras et à éviter ma mère biologique. Je sortais beaucoup avec mes amis. Je ne voulais pas rentrer à la maisonJ’avais le sentiment qu’on n’y voulait pas de moi. 

J’avais trouvé un enregistrement que ma mère avait fait d’auto-thérapie  elle pleurait à gros sanglots dans l’enregistrement en disant que je n’étais pas vraiment comme sa fille, et que je ne parlais pas comme elle et que je ne partageais pas les mêmes valeurs qu’elle et c’était évident que ça la dévastait. 

Au fur et à mesure que ma santé mentale s’est mise à décliner, son comportement avec moi a aussi empiré. J’ai commencé à subir de la violence émotionnelle de sa part. 

Éventuellement, elle m’a déposé chez une famille d’accueil où j’avais gardé les enfants. C’était quelques semaines avant Noël, quand j’avais 15 ans. J’ai pleuré sans arrêt pendant environ trois jours. Environ une semaine après mon arrivée dans cette famille, je n’étais pas sous la tutelle de la SAE (la Société de l’aide à l’enfance), mais ma mère biologique payait un loyer à cette famille pour qu’elle me garde, et ça a été accepté par la SAE. 

J’avais tellement peur d’être seule. Je n’avais pas de famille au Canada autre que ma mère biologique et je me disais que si cela ne fonctionnait pas dans ma famille d’accueil, je serais complètement seule dans un pays  je ne me sentais vraiment pas chez moi. 

Leur mariage a été dissousÇa a complètement détruit le foyer d’accueil. Je me suis retrouvée à vivre seule, vivant tour à tour chez cet homme et sur des fermes de chevaux  j’avais fait du bénévolat à l’âge de 13 et 14 ans, après mon arrivée au Canada. 

Les chevauxainsi que cette expériencereprésentaient une belle occasion pour moi d’être logée, car j’avais de l’expérience pour nettoyer les stalles – lorsque je suis retournée à ces endroitsj’étais devenue une adolescente de 16 ans itinéranteIls m’ont accueilli et laissé travailler  en échange d’une chambre. Mais j’ai aussi commencé à consommer beaucoup d’ecstasy. Je n’avais jamais pris de drogue avant d’être expulsée de chez moi. 

Mais après cela, tout semblait encore plus désespéré qu’avantC’était une façon d’oublier. Une façon d’oublier que je m’ennuyais de l’Angleterre, et aussi une façon aussi d’oublier la perte de ma mère biologique que je venais juste de retrouver. 

Narrateur : 

À l’âge de 18 ans à peine, Charlotte a quitté le Canada et est retournée en Angleterre, sans compétences de vie ou expérience de vivre seule. 

Mais les liens qu’elle avait avec le Canada se sont resserrés, et peu de temps après elle a quitté l’Angleterre pour revenir à la seule vie qu’elle connaissait vraiment. 

Charlotte :  

Puis les choses se sont encore détériorées parce que j’avais échoué à retourner à ma maison. J’étais revenu au Canada et maintenant les fermes étaient hors de ma portée. 

Donc ma consommation de drogue a augmentéJ’ai rencontré des gens qui prescrivaient de l’OxyContin et j’ai commencé à en prendre. Au début, je trouvais ça bien parce que ce médicament me permettait d’avoir plus de force physique. J’ai trouvé un travail en construction et je pouvais faire tout ce que les gars faisaient. Je levais des panneaux de gypse et tout, et j’avais de l’énergie toute la journée à cause de ces comprimés. Et je ne réalisais pas que j’y étais devenue dépendante. 

La drogue augmentait aussi beaucoup ma confiance en moi et j’ai emménagé avec une femme qui était aussi dépendante à l’OxyContin, et son fils. Je lui ai montré comment bien les écraser et les renifler, comme c’est ce que j’avais toujours fait avec l’ecstasy. Je ne réalisais pas que ça allait la rendre encore plus dépendante, je ne réalisais pas que même si elle était déjà dépendante aux médicaments d’ordonnance, ça allait augmenter sa consommation, car en faisant comme ça, la sensation est plus intense, mais ça dure moins longtemps. Et bien sûr la tolérance au médicament augmente. Alors nous avons dû utiliser tous ses médicaments et chercher des moyens de s’en procurer plus. Lorsqu’on en n’avait plus, j’étais très malade et le monde entier me semblait gris. En plus des effets physiques. 

La femme avec qui j’habitais a dû aller en désintoxication à cause de ça. Et je me suis sentie très responsable. Elle a aussi perdu la garde de son fils pendant un certain temps. Mais lorsqu’elle est sortie de sa cure de désintoxication, elle était avec un gars qui prenait du crack et alors j’ai commencé à fumer du crack avec elle et son petit ami. Et c’était facile, car ce n’était pas la première fois que je voyais du crack. 

Avant, j’utilisais un site de rencontres pour me trouver des gens pour m’amener aux endroits  je pouvais me procurer des comprimés d’ecstasy. Je racontais aux gars que je coucherais avec eux s’ils m’amenaient à l’endroit  je pouvais me procurer mes pilules. Un jour, le gars qui me conduisait m’a offert du crack et je crois que j’ai passé 4 ou 5 jours à son appartement, complètement défoncée. Ce n’était pas agréablej’étais paranoïaquemême si j’étais effrayée, je prenais doses de crack par-dessus doses de crack. Même si je tremblais et suais et je n’étais pas bien. 

J’ai quitté cet appartement et je me suis dit « wow ». Il m’a fallu quelques jours pour récupérer. Je me suis dit, « je ne ferais plus jamais ça, et j’espère de ne plus jamais voir ça, » et je pensais vraiment que c’était vrai. Par le temps que je revois du crack, les choses allaient de plus en plus mal et j’avais le sentiment de n’avoir plus rien à perdre. Je n’avais pas de famille. Je n’avais pas de projet d’avenirJ’avais abandonné l’école secondaire. Il n’y avait aucun espoir de retourner vivre avec ma famille en Angleterre. 

J’avais un fort sentiment d’être un échec complet. Donc pendant les trois années suivantes, j’ai fumé du crack tous les jours. Les seuls moments où je ne fumais pas, c’est lorsque j’étais en prison ou que j’essayais d’avoir de quoi payer ma drogue, soit en volant à l’étalage ou en me prostituant. Et bien sûr, je prenais aussi de l’OxyContin, et j’ai commencé à m’injecter de l’OxyContin, ainsi que de la morphine et de la cocaïne, ce qui était une expérience terrifiante en fait. 

Même si je le faisais, ce n’est pas comme si je n’avais pas peur. Je me rendais dans des maisons où je voyais des gens chercher pendant des heures une veine à piquer, enfoncer des aiguilles dans leur bras pour avoir leur dose. Avoir des abcès, être en crise, utiliser des aiguilles souillées, les partager avec d’autres et honnêtement, même si c’était choquant, j’avais le sentiment d’être finie, que ma vie ne pourrait jamais être ce qu’elle aurait pu être si je n’étais pas venue au Canada ou si ma mère ne m’avait pas mise à la porte. 

J’ai donc fait tout cela moi aussi, me piquer avec des aiguilles souillées et les partager. Et si j’ai réussi à cesser de me droguer, c’est uniquement parce que j’ai été chanceuse. Et c’est ce qui est frustrant du système tel qu’il est, il n’y a pas de système public pour aider les gens à se sortir de la dépendance ou de l’itinérance. Il n’y a pas de solution sur laquelle on peut compter. 

Tous les gens sont plus ou moins laissés à eux-mêmes et j’ai été chanceuse de m’en sortir. Car lors d’un de mes derniers séjours en prison, j’ai compris que si, en sortant de prison, je recommençais à fumer ou à me piquer, je finirais avec le VIH et le sida. Plusieurs de mes amis à ce moment- avaient une ou l’autre de ces maladies. 

J’ai donc appelé un ami et il a accepté de m’héberger quand je sortirais de prison. Donc j’y suis allé et je ne suis pas revenue en ville pendant probablement presque une année. Pendant cette période, on m’a aidée à trouver un emploi dans une ferme de chevaux. Et tous les jours quand j’allais à la ferme, je voyais les chevaux et j’étais consciente que si je reprenais une pipe, si j’allais à Ottawa, dans le centre-ville, je perdrais tout. Toute la confiance que j’avais commencé à construire avec ces personnes et le privilège de m’occuper de ces animaux. Alors j’ai réussi à rester sobre. 

J’ai ensuite étudié au collège pendant une année. En septembre, je commence ma maîtriseJ’ai eu de nombreuses occasions de faire des recherches sur ces gens dont j’avais fait partiecomme les travailleuses du sexe, les toxicomanes et les jeunes sans abri. 

Et donc, je peux enfin me projeter dans l’avenir. Et c’est un futur dans lequel j’espère pouvoir aider les gens que j’ai laissés derrière. Car je ressens définitivement la culpabilité du survivant, je souffre du trouble de stress post-traumatique du fait que j’ai été itinérante et que j’ai été dépendante de drogues duresDonc j’en ressens encore les effets. Je fais beaucoup de cauchemars, de quelqu’un qui fait une surdose et que je n’arrive pas à sauver. Cela m’arrive souvent et c’est quelque chose que je dois continuer d’essayer de mettre derrière moi. 

Aussi, je combats toujours ma dépendance. Je suis plus ou moins dans le droit chemin depuis cinq ans. La dépendance est très puissante et je suis incapable d’en échapperj’aimerais réussir à arrêter d’y penser. Mais pour le moment je n’ai pas réussi. Et j’ai tant de souvenirs d’Ottawa quand je consommais, que partout  je vaisc’est constamment devant moi. 

Et je suis consciente que la dépendance et la consommation de drogue restent invisibles pour ceux qui ne l’ont pas vécu. Mais quand vous en avez fait l’expérience, on ne peut pas éviter ça. Où que vous alliez, il y a des choses qui vous le rappellent et des situations qui provoquent l’envie de consommer et il est alors très difficile de résister, et il n’y a pas forcément beaucoup d’aide autre que des rencontres hebdomadaires avec des conseillers ou des séances de groupe avec d’autres utilisateurs de drogues, comme Narcotiques anonymes (NA). 

Mais en réalitéc’est quelque chose qui est toujours en vous. Et j’ai même vu des amis mourir et tous les jours, des gens meurent à Ottawa suite à l’utilisation d’opioïdes. Et, aussi douloureux qu’il soit de voir mourir ces gens, ce n’est pas assez pour arrêter cette pulsion d’utiliser… quand cette pulsion frappe. Cela me dégoûte de moi-même et je ne sais pas  se trouve la solution. 

Narrateur : 

Quinze minutes ont suffi à Charlotte pour nous amener avec elle pour retracer son parcours. 

Elle a ensuite partagé certaines observations sur sa vie, et sur la façon dont le monde a fini par la traiter et la percevoir. Et sur le fait qu’elle a commencé à se voir de façon différente aussi. 

Charlotte : 

Une chose que j’ai remarquée lorsque je fumais du crack ou que je prenais de l’héroïne, de l’OxyContin ou de la morphine dans la rue, c’est que je n’étais plus considérée comme une jeune fille. On devient responsable de soi, on me considérait comme une adulte responsable et consciente de ses décisions, et qui choisissait simplement d’emprunté le mauvais chemin. Je ne me sentais pourtant pas du tout comme une adultej’avais encore la mentalité de quand j’avais 15 ans. 

Alors je trouvais très difficile de me faire traiter comme une adulte, par exemple, quand j’allais voir le travailleur social pour chercher un chèque de bien-être social et qu’il était très antipathiques parce que j’utilisais de la drogue ou quand je ne pouvais pas trouver d’endroit où habiter, c’était très nuisible. Et c’est terrible, car tu veux tellement que les gens te voient comme une jeune fille de 19 ou 20 ans, et que tu as besoin d’aide. 

Mais les gens te voient comme une toxicomane parmi d’autres et que c’est ta faute si tu es dans cette situation. Et vous n’osez pas demander de l’aide parce que vous avez le sentiment de ne pas la mériter, parce que vous pensez que « je suis responsable de ma propre déchéance et je me suis fait ça à moi-même. » Ce qui est vrai dans une certaine mesure, mais il y a tant d’autres facteurs qui entrent dans l’équation et qui m’ont amenée à faire ce choix d’utiliser de la drogue. 

Et je pense que cette barrière qui s’installe entre la jeune personne qui utilise de la drogue et le reste de la sociétéça vous incite à chercher du réconfort dans des réseaux non officiels. Alors vous vous rapprochez des personnes plus âgées qui vivent dans la rue, des toxicomanes plus âgés autour de vous avec qui vous formez une sorte de communauté. Mais ce n’est pas une communauté saine et ce n’est pas la faute des individus. Ce sont souvent de bonnes personnes et ils viennent aussi de tous les milieux, mais le style de vie associé à la consommation de drogue dans la rue est très toxique. 

Donc j’ai rencontré des gens activement impliqués dans le commerce du sexe, des gens qui n’ont pas été honnêtes à propos de ça quand je suis arrivée. Donc ils me présentaient des hommes et moi, naïvement, stupidement, je croyais que ces hommes voulaient sortir avec moi. Alors que non. Ils payaient les gens que je connaissais pour avoir une relation sexuelle avec moi et je n’en avais aucune idée. Cela montre ce que je voulais dire quand je parlais d’être encore qu’une enfant même si les gens me traitaient comme une adulte. 

J’étais extrêmement naïve et les gens ne me croyaient pas lorsque je leur disais que j’ignorais que des gens me vendaient ainsi. Pour eux, j’étais simplement une salope. Mais non, je ne savais vraiment pas et lorsque j’ai compris, j’ai tenté de me tuer. 

La fille avec qui j’habitais s’injectait des drogues par intraveineuse, et elle a fini par être tout pour moi. Je me sentais en sécurité avec elle et quand j’ai compris qu’elle me vendait à ces hommes et qu’elle s’en fichait de moi en fait, ou qu’elle ne s’en fichait pas, mais que satisfaire son besoin de drogue était si grand qu’elle était prête à risquer ma vie pour se procurer ses drogues, j’étais complètement dévastée, et je me suis planté un canif dans le bras à plusieurs reprises et elle a dû appeler une ambulance. Et elle n’a pas voulu que je retourne chez elle, car j’attirais trop l’attention. 

Parce qu’elle avait  appeler le 911, ce qui est très mal vu dans la sous-culture de la rue, de consommation de drogues et de commerce de sexe, car les policiers sont terribles avec les gens qui consomment de la drogue, d’après mon expérience. Et c’est très dur, même si vous voyez un ami faire une surdosevous n’appelez pas le 911 parce que vous ne voulez pas avoir de problèmes. Et vous ne voulez pas appeler le 911 parce que vous savez que la personne sur le sol ne veut pas se réveiller et voir la police et se retrouver en prison à cause de leur dépendanceC’est une décision que j’ai  prendre. Et j’ai déjà laissé mon amie sur le sol avoir les lèvres bleues avant d’appeler le 911 par peur des policiers. 

Et quand j’ai tenté de m’enlever la vie lorsque j’ai compris que j’étais tombée dans cette sous-culture où les gens ne peuvent se soucier que jusqu’à leur prochaine dose de drogue. 

Lorsque j’ai reçu mon congé de l’hôpital, au Québec, j’étais couverte de sang. Voilà un autre exemple qui montre bien qu’on ne me traitait pas comme une jeune fille, lorsqu’ils m’ont accueilli, ils se moquaient de moi. Ils n’ont pas cru que j’avais tenté de m’enlever la vie; ils ont simplement dit que je faisais une psychose induite par la drogue, que j’étais en manque et que j’avais juste besoin d’une dose et c’est pour ça que j’avais agi ainsi. 

Ils ne m’ont même pas remis un billet de bus. Ils m’ont laissée là, devant l’hôpital et j’ai dû trouver ma route pour me rendre chez cette fille qui m’hébergeait en ne sachant pas qu’elle ne voulait plus rien savoir de moi. Ce manque de compassion… je sais que pour eux, je leur faisais perdre leur temps et qu’ils aimeraient mieux s’occuper de vraies personnes avec, ce qui est considéré, de vrais problèmes de santé – qui ne sont pas une dépendance. Pourtant, j’avais réellement besoin d’aide. Et si un adulte m’avait traitée comme une jeune fille qui avait besoin d’aide, les choses auraient pu être différentes. Mais ils n’ont même pas essayé. Et à cause de ça j’ai baissé les bras. 

Je n’avais aucune valeurJ’ai marché dans les rues d’Ottawa, les vêtements tachés de sang, et personne ne m’a offert son aide. Seul un chauffeur de bus m’a laissée monter gratuitement. Et les seuls endroits  je pouvais allerc’était des maisons de crack… je les appelle maisons de crack, mais ce sont des endroits  l’on consomme toutes sortes de drogues, y compris des médicaments sur ordonnance, pas seulement du crack. Des opioïdes, des drogues par injection… et ce sont les gens qui fréquentent ces endroits qui se sont occupés de moim’ont laissé dormir sur leurs sofas infestés de punaises jusqu’à ce que je sois suffisamment remise pour qu’on m’enlève les points de suture et que je puisse m’occuper de moi. 

Mais je n’avais plus rien d’autre que le travail de sexe, car mon apparence était tellement moche que je ne pouvais même pas me rabattre sur le vol à l’étalage. Si vous allez dans une boutique et vous êtes propre et habillée convenablement, on ne vous remarque pas et il est alors plus facile de voleralors qu’on vous cible tout de suite si vous avez des vêtements sales et vous avez des gales sur votre visage et les bras. Alors le travail de sexe est à peu près tout ce qui vous reste, car les hommes, pas tousmais nombreux d’entre eux, se fichent complètement si vous êtes sale, avez des gales ou êtes malade. 

C’est toute votre identité qui disparaît au-delà des drogues, de la prostitution et de l’itinérancec’est tout ce que les gens voientIls voient une toxicomane et ils justifient leurs actions contre vous de cette façonIls peuvent justifier de vous mettre en prison, vous jeter dehors, avoir des relations sexuelles avec vous quand vous n’êtes clairement pas en état de faire cela, car après tout, vous n’êtes qu’une droguée et vous n’êtes surtout plus une jeune femme apeurée qui a besoin d’aide, qui venait d’immigrer au Canada. Vous êtes quelqu’un dont on peut disposer. 

Les gens ne traitent pas les filles ordinaires comme ils traitent les filles qui sont itinérantes et toxicomanes et j’espère que cela pourrait changer. Beaucoup d’hommes qui m’ont fait des choses terribles sont des pères qui ont des jeunes filles à la maison. Et ils seraient prêts à tuer si quelqu’un traitait leur fille comme eux m’ont traitée. Mais parce que j’ai pris la décision de mettre une aiguille dans mon bras, j’ai perdu tous les privilèges dont bénéficient de nombreux humains au Canada. Le droit à mon intégrité physique et le droit de ne pas être touchée lorsque je dors. 

Ce n’est pas parce que j’ai choisi de vendre mon corps ou parce que j’ai fait ce choix – parce que c’était le seul choix qui s’offrait à moi – ça ne veut pas dire que je ne peux pas être violée. Parce que ouij’ai été violéecomme beaucoup d’autres dans la rue. Il n’y a aucun respect pour les toxicomanes. 

Narrateur: 

Malgré ses progrès dans la vie, la sobriété reste une source de honte pour Charlotte et elle est toujours conscience de ce qui est attendu d’elle, et ce qui est réaliste. 

Charlotte: 

Les gens pensent que, lorsque vous n’êtes plus toxicomane, vous devez éviter toutes les drogues et je pense que c’est ce qui est enseigné dans le cadre de nombreuses approches thérapeutiques. Mais pour moi ce n’est pas le cas, et je pense que c’est une idée fausse et dangereuse. 

Si vous me dites que je ne peux plus fumer du cannabis ou boire de l’alcool pour le reste de ma vie, je serais très anxieuse et paniquée en pensant que je n’aurais plus ce filet de sécurité que représentent ces substances socialement acceptées. 

Lorsque je me suis sortie de la rue, la marijuana m’a beaucoup aidée à ne pas retomber dans la consommation de drogues dures. Cela m’a aussi aidé à dormir la nuit. Je fais moins de cauchemars. J’ai moins de pensées sombres à propos de mon passé quand je fume la marijuana. J’ai un peu honte de fumer de la marijuana parce que, même si c’est maintenant légal et que c’est moins stigmatisé socialement, je pense que ça peut nuire à ma crédibilité sur le plan professionnel, dans le monde de la recherche, car j’en consomme si souventJ’ai peur que les gens pensent que je ne suis pas sérieuse dans mon travail ou qu’ils s’imaginent que je suis intoxiquée lorsque je mène mes recherches. Je ne fume jamais durant le jour. Je l’utilise comme une béquille le soir. 

J’espère transformer les processus de recherche pour qu’ils fassent partie de la prévention et l’intervention auprès des jeunes sans-abris et qui utilisent des substances de façon problématiqueDonc, en favorisant l’engagement positif auprès d’autres jeunes qui sont à risque de vivre dans la rue ou de développer une dépendanceou qui vivent ces expériences-là. Et leur envoyer le message que lorsqu’on vit dans une situation privilégiéecomme moi en ce moment, chaque interaction avec un jeune qui vit une situation difficile peut être positive. 

Cela peut être plus qu’une simple entrevue dans laquelle je recueille des données auprès d’eux et que j’utilise dans le cadre de ma propre carrière. Je peux essayer leur offrir des ressourcesleur donner de l’espoir ou à tout le moins leur offrir de l’argent comptant pour leur participation à mes recherches plutôt que des cartes cadeau, qui ne permettent pas de réduire les risques comme l’argent comptant le peut. 

Si je donne de l’argent comptant à mes participants, et qu’ensuite ils sont en manque de drogue, ils auront alors une mauvaise chose à faire de moins pour se procurer la drogue parce qu’ils auront ce 20 $. Je pense qu’il y a cette perception que si on donne de l’argent à un toxicomane, on l’encourage à consommer. Je pense que nous devons respecter le choix des gens aussi. Si une personne vous demande de l’argent, c’est parce qu’elle a besoin d’argent. Et ce que cette personne fait avec cet argent ne vous regarde pas. Si vous pouvez lui donner un peu plus de sécurité en lui donnant de l’argent plutôt qu’une carte cadeau, qui ne lui permet pas de se procurer leur drogue… elle sera alors tentée d’arpenter les rues et de solliciter un automobiliste à la recherche de sexe. 

Je souhaite que, dans mes recherches, je puisse être pertinente pour les jeunes, que je puisse les encourager à retourner à l’école ou à poursuivre un rêvequel qu’il soitafin qu’ils s’éloignent de la rue et des drogues. 

Et selon mon expérience actuelle avec les jeunes, je pense qu’ils apprécient le fait que j’ai vécu une expérience semblable à la leur et cela fait en sorte qu’ils sont plus facilement portés à se confier, à dévoiler des détails plus intimes de leur expérience grâce à çaIls me l’ont dit. Et ils semblent heureux de voir que je m’en suis sortie et ça leur donne de l’espoir que finalementleur avenir n’est peut-être pas dans la rue avec une dépendance. 

Narrateur : 

La vie de plusieurs Canadiens est dévastée par la consommation problématique d’opioïdes. Les statistiques sont tragiques et sidérantes. Derrière ces statistiques, il y a des gens. Cette crise a un visage. C’est celui d’une amie, d’un collègue, d’un proche. Quand on regarde dans les yeux d’une personne touchée et qu’on voit son propre reflet, c’est par là que commence l’élimination de la stigmatisation qui empêche souvent les gens qui consomment de la drogue d’obtenir de l’aide. Pour en savoir plus sur la crise des opioïdes, rendez-vous au Canada.ca/Opioides. 

Cette série audio est produite par Santé Canada. Les opinions exprimées par les personnes qui témoignent pendant cette émission sont celles de ces personnes et non celles de Santé Canada. Santé Canada n’a aucunement validé l’exactitude des propos entendus pendant l’émission. Reproduction de ce contenu, en tout ou en partie, à des fins non commerciales est permise.